Damian: Au nom de la Banque Scotia et de l’AFP, je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Au cas où nous n’aurions pas encore fait connaissance, permettez-moi de me présenter. Je m’appelle Damian Jones et je suis vice-président, Transactions bancaires mondiales dans l’équipe des Services bancaires commerciaux – Canada à la Banque Scotia. Je siège aussi depuis peu au conseil d’administration de la section du Grand Toronto de l’AFP. Nos experts invités discuteront aujourd’hui de paiements, de processus et d’outils dans le contexte actuel, mais surtout de l’innovation au profit du bien-être financier du personnel, de la gestion des risques et de l’adaptation à l’incertitude économique; plusieurs sujets importants qui nous touchent collectivement. Notre auditoire est composé d’entreprises, de spécialistes de la finance, de gens de la communauté, ainsi que de membres de notre précieuse clientèle et tout le monde y trouvera son compte. Je ne vous fais pas languir plus longtemps : place à nos panélistes. Maintenant que vous me connaissez, je vais laisser à Val, Seth et Rebecca le soin de se présenter brièvement avant de plonger dans le vif du sujet de ce soir.
Val : Je m’appelle Val Kugathasan. Je suis directeur et chef de l’innovation dans l’équipe de la Gestion mondiale des paiements d’ADP Canada. Le rôle de l’équipe de la Gestion mondiale des paiements est en grande partie de trouver des moyens de bonifier l’expérience de paiement de la clientèle, mais aussi l’expérience client en général. En réalité, la paie n’est rien de plus que deux paiements importants : un paiement sortant de l’employeur et un paiement entrant pour personnel. Vu l’ampleur des activités d’ADP, les possibilités d’innovation sont nombreuses. À vous la parole, Sean.
Sean : Merci, Val. Je m’appelle Sean Paulseth. Je suis chef des recettes à ZayZoon Canada, l’entreprise à l’origine de ce nouveau concept de service d’accès au salaire gagné, que nous aborderons un peu plus en détail. Merci, Damian, pour cette présentation. Je suis ravi d’être ici ce soir aux côtés de mes partenaires d’ADP et de la Banque Scotia.
Rebecca: Je m’appelle Rebecca Young. Je suis économiste à la Banque Scotia et je vais essayer d’éclaircir certains points pour vous aujourd’hui. Mon titre est plutôt long. Pour faire simple, je suis économiste à long terme, ce qui, par les temps qui courent, veut dire la semaine prochaine… ou même demain! J’essaie de comprendre les tendances qui se dessinent à plus long terme, au-delà des fluctuations du quotidien. J’ai bien hâte d’entamer la discussion.
Damian: Comme vous l’avez sûrement constaté, nos panélistes nous arrivent d’horizons variés. Commençons par une petite question brise-glace pour tout le monde. Vu le sujet du jour, pourriez-vous nous parler de votre premier emploi? Comment étiez-vous payé et qu’avez-vous acheté avec votre premier chèque de paie?
Val : Je me lance. À mon entrée sur le marché du travail, j’avais deux emplois en même temps. Je travaillais dans la boutique de jeux de société 401 Games au Centre-ville de Toronto et dans un restaurant Tim Hortons. J’avais 16 ans et je gagnais 7,00 $ de l’heure à l’époque. J’étais payé en argent comptant et par chèque. Imaginez-vous. J’attendais mon chèque toutes les deux semaines et je devais me déplacer à la Banque Scotia pour le déposer. À cette époque, en 2005, il fallait de trois à cinq jours avant son encaissement. Donc, je ne recevais pas mon argent deux semaines après l’avoir gagné, mais plutôt au début de la quatrième semaine compte tenu du délai pour l’encaissement. À mon autre emploi, le paiement en argent comptant m’était remis une fois par mois et le propriétaire du magasin se fiait principalement à sa mémoire pour se rappeler les jours où j’avais travaillé. J’ai vécu de très, très mauvaises expériences de paiement. Heureusement, je n’avais que ma nourriture, mes sorties et mes loisirs à payer, donc je ne stressais pas trop.
Sean : Heureusement. Mon premier travail, vers l’âge de 14 ans, était pour une entreprise d’extermination de punaises de lit. Je ne savais même pas ce qu’était une punaise de lit, je n’en avais jamais vu et je ne savais même pas ce que signifiait «extermination» à l’époque, mais j’étais payé 15 $ de l’heure. C’est ce qui m’a séduit. C’était de la musique à mes oreilles. J’étais loin de me douter que cette entreprise possédait aussi quelques succursales de Money Mart. Souvent, elle n’avait pas les liquidités nécessaires à ma paie et je me rendais alors dans l’une de ses succursales pour encaisser un chèque qu’elle me devait. J’étais loin de me douter qu’il y avait toutes sortes de frais et je me suis retrouvé dans le rouge à 14 ans, comme vous pouvez l’imaginer. C’est la première fois que j’ai eu recours aux prêts sur salaire. Il va sans dire que cet employeur n’a pas très bien réussi et n’existe plus aujourd’hui, heureusement. Ce fut une première expérience assez enrichissante.
Rebecca: Je me sens vieille. À mon premier emploi, j’étais payée 5,00 $ de l’heure, je me faisais peut-être arnaquer, mais le travail me plaisait. J’étais sauveteuse sur une plage dans un village en Nouvelle-Écosse. Les gens ne s’y baignaient qu’une semaine pendant toute la saison. Donc j’étais payée 5,00 $ de l’heure pour lézarder sur une plage. Seul bémol : elle se trouvait à environ 50 kilomètres de chez moi. Je recevais des chèques de paie papier. Je devais attendre de les recevoir et, quand je finissais par avoir l’argent en poche, je la dépensais en essence. C’était un bel emploi peu rémunéré, mais j’en garde un bon souvenir.
Damian: Intéressant. Nous pouvons cerner quelques thèmes. La rémunération a grandement évolué et augmenté. D’ailleurs, parlons d’inflation, Rebecca. J’imagine que je ne surprends personne en parlant de flambée des prix, de hausse des taux d’intérêt et de mises à pied. Ces sujets sont sur toutes les lèvres. Pouvez-vous brosser le portrait de la situation actuelle sur le marché? À quels changements vous attendez-vous dans le quotidien de la population canadienne prochainement?
Rebecca: Nous en parlions entre nous un peu plus tôt et nous disions à la blague que les économistes doivent sortir leur boule de cristal pour prévoir l’avenir. Dans le contexte actuel, je dirais que les économistes sont plutôt devant une boule numéro 8 magique qui donne toujours la réponse «Essaie plus tard». Laissez-moi vous révéler un grand secret : même les économistes ne savent pas ce qui nous attend. Si je dois résumer la situation en trois mots, ce serait : incertitude, incertitude et… incertitude.
- La première source d’incertitude est la capacité à formuler des prévisions. Cette année s’annonçait une réjouissance pour le monde. L’inflation était en baisse, les taux d’intérêt étaient en train ou sur le point de diminuer et nous nous attendions à une reprise. Nous pensions vivre une année tranquille et nous en sortir plutôt sereinement. Évidemment, l’adoption de politiques assez floues et appelant pour la plupart à la décroissance, surtout aux États-Unis, a surpris tout le monde. L’affaiblissement des perspectives de croissance n’en est pas le seul responsable. Pensons notamment aux États-Unis et à leurs tarifs douaniers, des taxes qui alimentent l’inflation. Ce mélange toxique d’affaiblissement de la croissance et de prix élevés, qui semble se profiler aux États-Unis, signifie qu’il est peu probable que les taux d’intérêt baissent, surtout dans les perspectives américaines. En plus, je suis optimiste en ne mentionnant pas le risque de récession.
- Selon moi, la deuxième source d’incertitude concerne les entreprises. Les entreprises évoluent dans un climat où la croissance ralentit, où la baisse des taux d’intérêt semble peu probable et où le coût de toutes leurs importations augmente, même en passant par leurs chaînes d’approvisionnement, ce qui accentue la pression, d’autant plus que la demande risque de ne pas être au rendez-vous. Elles se retrouvent avec des marges bénéficiaires réduites, en raison des coûts d’exploitation élevés, de l’incertitude qui plane et d’une demande ou d’un marché probablement plus faibles. Selon nos observations, beaucoup d’entreprises attendent, reportent des décisions et réévaluent leurs stratégies d’embauche ou leurs projets d’investissement de capitaux et de dépenses.
- La troisième source d’incertitude concerne les ménages. En ce moment, beaucoup de ménages éprouvent un grand sentiment d’insécurité par rapport à leur emploi. Selon de récents sondages, les personnes qui travaillent dans des secteurs particulièrement touchés par les guerres commerciales, soit environ les deux tiers de la population canadienne, affirment avoir peur de perdre leur emploi. Cette inquiétude se reflète dans leurs décisions d’achat : elles n’achètent pas de maisons et ont parfois devancé l’achat d’une voiture par crainte de pénurie si les différends commerciaux se prolongent, mais, de manière générale, elles préfèrent attendre. Elles constatent des signes de ralentissement de la croissance de l’emploi.
Dans l’ensemble, cette incertitude devrait malheureusement persister jusqu’à l’approche des élections de mi-mandat aux États-Unis. La prochaine année s’annonce donc marquée par l’incertitude et les changements. Je pense que nous resterons en alerte quant à une possible récession pendant un certain temps. La population va s’inquiéter. Vivrons-nous un creux court et superficiel ou bien ferons-nous face à un ralentissement économique plus profond? Pardonnez-moi de commencer sur cette note négative, mais c’est ce que nous entrevoyons pour les prochains trimestres.
Damian: Tous les éléments que vous avez mentionnés découlent beaucoup de la création de scénarios, n’est-ce pas? Nous élaborons modèle après modèle et les appliquons les uns par-dessus les autres.
Rebecca: À ce sujet, pour ajouter à l’incertitude, la Banque du Canada n’a même pas publié de prévisions. Les entreprises n’ont pas le luxe d’attendre d’avoir une base de référence, elles doivent continuer à avancer. La Banque du Canada dit qu’elle ne sait pas ce qui va se passer, et présente un scénario possible. Elle en présente un autre. Puis, nous indique que nous nous situons quelque part entre les deux. De plus, l’équipe du ministère des Finances fédéral n’a pas non plus établi de base de référence. En gros, elle nous dit de revenir à l’automne. Elle nous expliquera ce qu’elle pense qu’il s’est passé. Cette situation amplifie l’incertitude, au point que même des décideurs ont dit : «Nous ne savons pas. Revenez plus tard.»
Damian: Si je ne m’abuse, nous avons même vu des entreprises cotées arrêter de fournir leurs projections. Encore une fois, une grande incertitude plane. Pour conclure ce point, j’aimerais connaître votre avis Rebecca. Que conseillez-vous à votre clientèle dans ce climat d’incertitude? Quels grands conseils souhaitiez-vous donner à notre auditoire aujourd’hui d’après vos observations?
Rebecca: Vous avez frappé en plein dans le mille en mentionnant la création de scénarios. Il faut reconnaître que les prochains trimestres et les prochaines années pourraient prendre bien des tournants différents. Nous sentons un certain relâchement de la vigilance; souhaitons qu’il soit justifié. Espérons que les marchés ont raison de dire que Trump se dégonfle toujours. Je pense que tout le monde mise là-dessus. Même si je pense personnellement qu’il pourrait reculer, j’ai une grande préoccupation d’après mon interprétation du Jour de la Libération. Il est allé au bord du gouffre et a jeté un coup d’œil. Voyant que tout le monde était nerveux, il a reculé, mais il continue à le longer. J’ai peur que la paroi du rocher cède et qu’il n’y ait un basculement accidentel. Nous l’entrevoyons dans la menace qu’il laisse planer sur les avoirs financiers détenus aux États-Unis par des ressortissants étrangers. Il y a beaucoup de choses qui pourraient soudainement déraper et c’est principalement ce genre d’imprévus qui m’inquiète. Bref, pour revenir à ce que vous disiez, cette réalité signifie que, dans l’analyse des choses et la création de scénarios, il ne faut pas non plus avoir trop confiance que le contexte ne changera pas d’ici un an ou cinq ans. Envisagez que nous pourrions nous diriger vers une démondialisation à plus long terme, c’est-à-dire des chaînes d’approvisionnement plus résilientes et une moins grande dépendance à un seul pays, produit ou client. Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire.
Damian: C’est logique. Je crois que le seul point sur lequel nous sommes d’accord, que nos modèles prévoient ou non une récession, est que la situation a de véritables répercussions sur la population canadienne. C’est pourquoi, Sean, je voudrais revenir sur le concept d’accès au salaire gagné. Vous avez parlé de votre premier emploi et des prêts sur salaire, mais parlez-nous un peu plus du service d’accès au salaire gagné. Pourriez-vous expliquer de quoi il s’agit au cas où certaines personnes l’ignorent et parler de ses possibles retombées sur le bien-être financier du personnel et sur le rendement des entreprises?
Sean : Bien sûr. Le service d’accès au salaire gagné est essentiellement un concept de rémunération à la demande. Il permet au personnel de toucher une partie de son salaire gagné avant la date de paie. Les cycles de paie et les salaires sont généralement bihebdomadaires ou mensuels, et ce, depuis des décennies. Cependant, il existe désormais une technologie qui permet au personnel de toucher son salaire dès qu’il l’a gagné et lui donne plus d’autonomie. Nous sommes une entreprise canadienne, mais nous avons lancé ce concept aux États-Unis il y a une dizaine d’années. Nous venons de le lancer au Canada en juillet 2024. Pourquoi les entreprises adoptent-elles encore le cycle de paie classique aux deux semaines ou aux mois? Principalement à cause de contraintes concernant la paie, les liquidités, les opérations bancaires et bien d’autres facteurs. Cependant, il existe aujourd’hui des technologies qui peuvent être intégrées aux systèmes de paie des entreprises afin de permettre au personnel d’accéder à son salaire gagné. Le bien-être financier nous tient à cœur. Avant de lancer notre service d’accès au salaire gagné au Canada, nous avons mené énormément de sondages et de recherches pour savoir si le moment était bien choisi. En collaboration avec la Banque Scotia, nous avons pu recueillir beaucoup de données auprès de la main-d’œuvre canadienne. Nous avons appris que 56 % de la population active du Canada vit encore aujourd’hui d’un chèque de paie à l’autre et que 2 millions de personnes ont encore recours à des services de prêts sur salaire. Pour vous donner un ordre d’idée, il y a environ 1 400 Starbucks au Canada et pratiquement tout autant de succursales de Money Mart ou d’autres services de prêts sur salaire. Ils profitent de la population canadienne presque à chaque coin de rue. À mon avis, ces statistiques sont le reflet de la situation actuelle sur le marché, caractérisé par une grande incertitude, sans même parler des tarifs douaniers. Le personnel de première ligne en souffre bien davantage que les cadres. Toute cette incertitude continue de peser lourd sur le personnel, une réalité difficile à déceler pour les employeurs, puisque peu de gens se sentent assez à l’aise d’aller voir leur patron ou patronne et de lui avouer : «Hé, j’ai besoin d’une avance.» À mon avis, c’est très rare parce que la majorité des gens en sont gênés. Ce genre de problème est souvent invisible et c’est exactement pour cette raison que les services comme les prêts sur salaire existent : le personnel n’ose pas dire à son employeur qu’il éprouve des difficultés financières. Où cette situation peut-elle nous mener? La tension financière peut entraîner des problèmes de productivité et de maintien en poste. Certaines personnes peuvent tout simplement quitter leur emploi, alors que d’autres peuvent éprouver des difficultés familiales parce qu’elles ne parviennent plus à subvenir à certains besoins en raison de l’inflation. Bien des facteurs peuvent avoir un effet domino, souvent difficile à déceler et à percevoir pour l’employeur. En donnant à son personnel la possibilité de toucher son salaire gagné avant le jour de paie, l’employeur lui permet de souffler un peu, de faire un arrêt à l’épicerie sur le chemin du retour ou de faire le plein d’essence, que ce soit pour des déplacements familiaux ou professionnels. Le bien-être financier est une notion très vaste, mais nous constatons que la tension financière est au cœur des nombreux enjeux que rencontrent les entreprises aujourd’hui, en grande partie parce que les avantages sociaux offerts ne répondent pas aux besoins du personnel de première ligne, mais plutôt à ceux des cadres. Nous devons veiller à ce que les avantages sociaux et les programmes conviennent à tout le monde, car c’est le personnel de première ligne qui souffre le plus de l’incertitude économique actuelle et qui éprouve des difficultés.
Damian: Vous avez soulevé beaucoup de points à examiner. Il ne faut pas seulement penser au segment du personnel touché, mais aussi aux retombées pour les employeurs, n’est-ce pas? Je pense entre autres au bien-être, à la motivation, à la productivité et au maintien en poste, que vous avez abordés. Nous n’en parlons pas souvent. Je ne ferais pas forcément d’instinct le lien entre le maintien en poste ou la productivité et les options de paiement flexibles, comme l’accès au salaire gagné. Selon vous, comment pourrions-nous quantifier ces avantages, puisque de plus en plus de gens commencent à s’y intéresser?
Sean : Bien sûr. Comme nous exerçons nos activités aux États-Unis depuis environ huit ans, nous avons recueilli beaucoup de données précieuses auprès d’entreprises avec lesquelles nous avons travaillé. Il est assez difficile pour un employeur ou une organisation de quantifier la satisfaction et l’expérience du personnel. Comment pouvons-nous le faire? Eh bien, selon les sondages menés à notre lancement ici au Canada, beaucoup de personnes dans la population active jugent que l’employeur a la responsabilité d’offrir du soutien financier, de favoriser le bien-être financier et de contribuer à l’éducation financière. L’attente est là. Si un employeur décide d’offrir à son personnel des solutions, comme l’accès au salaire gagné ou d’autres programmes d’avantages sociaux de ce genre, son investissement peut avoir des retombées considérables sur des aspects comme la productivité. Laissez-moi vous donner un exemple. Dans notre partenariat avec un hôpital du réseau de santé de Vancouver, nous avons appris qu’une grande partie du personnel de première ligne avait deux emplois. Le coût de la vie à Vancouver est très élevé et ne cesse d’augmenter, alors une grande partie de la population doit avoir un emploi d’appoint. Il existe toutes sortes de petits boulots que les gens peuvent faire en parallèle. Le personnel a affirmé que, si un outil lui permettait de toucher son salaire plus rapidement, il n’aurait pas besoin de ce deuxième emploi parce qu’il n’aurait qu’à prélever plus tôt une partie de l’argent gagné au cours de son cycle de paie mensuel pour payer ses dépenses quotidiennes, que ce soit l’épicerie, l’essence ou les achats liés à ses enfants. Lorsque nous avons commencé à collaborer avec cette organisation en santé, nous avons immédiatement constaté une augmentation du nombre de personnes interrogées déclarant qu’elles n’avaient plus besoin d’un emploi d’appoint et qu’elles pouvaient consacrer plus de temps à leur emploi à l’hôpital. Le personnel peut être plus productif, être plus motivé et profiter d’une expérience enrichie. L’employeur réinvestit dans son personnel, ce qui a des retombées considérables et le motive. C’est le genre de chose à laquelle nous ne pensons pas forcément, mais qui peut avoir de véritables retombées. Pour ce qui est de la productivité, ces personnes sont plus enclines à accepter un deuxième quart plutôt qu’un seul. Elles veulent travailler là-bas parce qu’elles peuvent toucher leur argent immédiatement. L’entreprise a observé une augmentation de l’acceptation de quarts de travail, un phénomène courant en santé, ce qui entraîne un plus grand maintien en poste du personnel et un taux de roulement moindre. Nous constatons une réduction du taux de roulement de près de 29 % après la mise en place du service d’accès au salaire gagné, un avantage facultatif que les entreprises peuvent offrir. Maintenant, puis-je affirmer que ces retombées sont à 100 % attribuables à l’accès au salaire gagné? Non. L’entreprise met aussi en place toutes sortes d’autres initiatives afin d’améliorer l’expérience du personnel, dont un excellent logiciel de paie et un partenariat avec une banque d’exception. Tous ces éléments combinés réduisent le taux de roulement. Toutefois, je pense que ce sont justement la productivité, la satisfaction du personnel et l’expérience générale offerte à tout le monde plutôt qu’à un segment précis du personnel qui peuvent réellement avoir des retombées considérables pour un employeur.
Val : C’est un excellent point, Sean. J’ajouterai que l’utilisation d’un système permettant l’accès au salaire gagné peut secondairement améliorer la gestion des présences, car les systèmes de gestion du temps et des présences peuvent souvent être intégrés à des solutions innovantes comme celle-ci. Le personnel a un plus grand incitatif à commencer son quart de travail à l’heure, car la ponctualité se reflète dans l’accès au salaire gagné. Si je me place maintenant du point de vue de l’équipe de la paie, elle doit voir cette fonction, que ce soit le service d’accès au salaire gagné ou toute autre innovation, comme un élément de la modernisation de la paie et une bonification des avantages sociaux actuellement proposés. Des entreprises donnent déjà plus de pouvoir et de choix à leur personnel en leur permettant de personnaliser leurs avantages sociaux. Toutefois, ce pouvoir ne doit pas se limiter à la nature des avantages sociaux. Par exemple, le personnel peut aussi avoir son mot à dire sur les primes, en déterminant comment la sienne lui est versée. Tout est une question de choix. Le salaire de base qui est versé toutes les deux semaines ou tous les mois est en réalité le dernier vestige des avantages sociaux du personnel. Vous le versez dans le cadre de sa rémunération, mais il ne bénéficie souvent pas d’autant de flexibilité dans le versement que ce que vous lui offrez pour le reste des avantages sociaux. Certaines personnes ne voient pas d’inconvénient à ne pas avoir de choix, mais je trouve que la rémunération est le dernier élément dans lequel nous n’avons pas encore vraiment offert beaucoup de choix. Nous ne pensons pas à donner des choix parce que, contrairement aux autres avantages sociaux, la rémunération n’intègre pas intrinsèquement de flexibilité. Par exemple, les avantages sociaux ne relèvent pas de l’employeur, mais d’une entreprise tierce. Votre régime d’épargne-retraite (RER) et vos versements ne relèvent pas directement de l’employeur. Ce sont des versements à date fixe qui relèvent d’une entreprise tierce. Donc, seulement votre salaire relève des structures de votre employeur. Le reste dépend de versements ponctuels effectués par celui-ci. Bien plus de choix pourraient donc être offerts de ce côté. Nous pouvons ainsi percevoir le service d’accès au salaire gagné ou toute autre modernisation de la paie, comme la dernière composante à revoir de la paie bihebdomadaire ou mensuelle. Les structures actuelles des employeurs sont l’une des raisons pour lesquelles ils n’ont pas encore adopté un modèle aussi flexible. Il y a aussi les soucis de liquidité, la gestion des flux de trésorerie, la facilité pour les employeurs de ne pas avoir à gérer ces cycles ponctuels en fonction des besoins du personnel, ainsi qu’un certain manque de compréhension de ces besoins. Pourtant, je rappelle que nous offrons déjà cette flexibilité avec tous les autres éléments de la paie. Pour tous les autres avantages sociaux, nous laissons au personnel le choix de la manière dont il souhaite gérer et maintenir son bien-être financier. Je pense que la seule chose qui empêche les entreprises d’innover dans la sphère de la paie est qu’elle est jusqu’ici entièrement entre leurs mains à elles. Voilà mon humble avis sur la rémunération et les tendances que nous observons dans l’économie actuelle.
Damian: L’offre de différentes options est une forme d’innovation. C’est ce que j’entends sans cesse. En période d’incertitude, les gens veulent plus d’options et de personnalisation. Cette diversité d’options mène à la motivation et au maintien en poste que vous recherchez et je pense que c’est justement sur ce genre d’innovation et de réflexion que nous voulons attirer votre attention aujourd’hui. J’adore la tournure que prend la discussion. Permettez-moi de m’écarter un peu du sujet et de revenir à Rebecca. Nous parlions de solutions innovantes et de l’importance d’offrir des options pour la paie et les outils de paie. Comment entrevoyez-vous l’évolution du marché du travail et de l’univers de la paie dans les cinq prochaines années? À quoi les entreprises devraient-elles se préparer?
Rebecca: C’est une excellente question, car, à court terme, nous risquons beaucoup d’entendre parler de pertes d’emplois et de taux de chômage. Alors, le futur à court terme s’annonce sombre et marqué par un surplus de main-d’œuvre. Voici mes prévisions pour un horizon temporel de cinq ans :
- Je crois que la première tendance que nous observerons sera la fin du principe de passer toute sa carrière dans une seule et même entreprise. Dans 5 ans, en 2031, les plus jeunes membres de la génération du baby-boom auront 65 ans. Pendant cette période de cinq ans, une personne sur cinq dans la population active canadienne prendra sa retraite. C’est énorme. La génération du baby-boom, qui recherchait stabilité et sécurité, avait tendance à rester dans la même entreprise toute sa carrière, contrairement à la relève qui saute d’un travail à l’autre. L’exode de la population active est donc une tendance qui nous guette.
- Par le fait même, nous anticipons une pénurie de talents. Si nous prenons, par exemple, le rapport de dépendance, lorsque la génération du baby-boom s’est jointe à la population active, il y avait sept personnes au travail pour chaque personne à charge, jeune ou âgée, au Canada. Dans les cinq prochaines années, ce chiffre frôlera plutôt le deux. Il y aura donc deux personnes au travail pour chaque personne qui ne l’est pas. Cet autre tournant majeur forcera les entreprises à se livrer une forte concurrence pour un bassin de main-d’œuvre limité ou de plus en plus petit.
- La troisième tendance concerne l’innovation. Les sociétés ne s’affronteront pas seulement pour attirer les mêmes ressources humaines, mais aussi pour l’automatisation et l’intelligence artificielle (IA), qui deviendront de plus en plus omniprésentes. Nous ne savons pas quels emplois disparaîtront. Je crois que les personnes qui sauront le mieux tirer leur épingle du jeu avec l’IA sont celles qui auront les compétences techniques pour l’utiliser, en plus d’une grande intelligence émotionnelle ou dimension humaine.
- La quatrième tendance que j’évoquerai est l’importance de l’apprentissage continu. Nous nous éloignons de plus en plus du modèle où les gens étudient pendant 4 ans à l’université, puis travaillent pendant 35 ans. Le rythme du changement dans le monde du travail est exponentiel. Pourtant, très peu d’entreprises canadiennes se sont tournées vers la microformation ou les microprogrammes d’attestation pour l’instant. Nous cultivons encore l’idée que ce sont les gouvernements et les établissements d’enseignement qui devraient offrir la formation, mais je pense que nous y accorderons de plus en plus d’importance.
- Pour conclure, et revenir à la paie et au départ de la génération du baby-boom, il faut noter qu’une toute nouvelle génération fera son entrée sur le marché du travail dans les cinq prochaines années. Alors que la génération du baby-boom associait le travail à un devoir, la génération Z le considère davantage comme une plateforme plutôt qu’un lieu. Elle commence tout juste à se joindre à la population active. La génération du millénaire et la génération X voulaient mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle, s’épanouir et donner un sens au monde. Nous faisons l’erreur de croire que c’est aussi le désir des plus jeunes. En 2031, les premières personnes de la génération alpha entreront sur le marché du travail et je pense que, pour vraiment motiver, récompenser et inspirer les talents, il faut aller bien au-delà de la paie. Nous serons devant une mosaïque. La main-d’œuvre canadienne sera composée de cinq générations et nous aurons besoin de chacune d’elles, notamment des plus anciennes, pour former les plus jeunes.
Je pense que beaucoup de choses vont changer dans les cinq prochaines années. Si nous nous concentrons seulement sur aujourd’hui ou demain, nous risquons de passer à côté de ces changements à plus long terme.
Damian: Il y a beaucoup de choses à concilier dans cette perspective à long terme et toutes ces dynamiques. Pour en revenir à vous, Val, sur le même sujet, vous (ADP) êtes aux premières loges. Vous voyez tellement de changements s’opérer dans l’univers des paiements. J’aimerais vous poser une question semblable : Comment entrevoyez-vous les choses dans cinq ans? À votre avis, en quoi la situation aura-t-elle évolué dans cinq ans?
Val : C’est une très bonne question. Combien d’entre vous ont entendu parler du système bancaire ouvert? La grande majorité. Combien d’entre vous ont entendu parler des paiements en temps réel? Encore une fois, la grande majorité. Je comprends qu’un certain scepticisme règne parce que nous entendons parler de certains de ces concepts depuis presque dix ans, mais leur concrétisation se fait toujours attendre. Toutefois, en 2025, nous constatons que, faute d’un véritable cadre de système bancaire ouvert et d’un système de paiement en temps réel lancé par le réseau de Paiements Canada, certains acteurs de l’écosystème encouragent les entreprises à s’engager dans cette transformation et prennent en charge le traitement et l’offre de ce genre de fonctions pour toutes sortes de cas d’utilisation. Revenons sur les cinq tendances soulevées par Rebecca. Du côté des paiements et de la rémunération, la tendance actuelle montre que nous ne voulons plus attendre que ces types de structures se concrétisent. Nous avons commencé à accepter le fait qu’elles finiront par émerger un jour ou l’autre, que ce soit dans les 12 prochains mois, dans les 24 prochains mois ou même plus tard. Peut-être que, lorsqu’elles finiront par voir le jour, elles suivront une évolution progressive : leur forme initiale pourrait différer considérablement de ce qu’elles deviendront dans les dix prochaines années. Pendant que ces structures se mettent en place, il est très important que les entreprises, les organisations de paie et les entreprises de technologie financière canadiennes mettent en place une gouvernance et déploient efficacement des solutions pertinentes pour elles. C’est pourquoi certaines entreprises ont mis au point des solutions, comme le transfert électronique de fonds (TEF) garanti. Vous en avez peut-être déjà entendu parler. Cette variante du transfert électronique de fonds repose sur une garantie contractuelle entre les deux parties et permet de simuler un paiement en temps réel. Sachez aussi que l’accès au salaire gagné simule lui-même une structure en temps réel par l’intermédiaire de Visa Direct, de MasterCard Send ou encore de Virement Interac. Interac a lancé le service Virement Interac pour les entreprises, dont le plafond est de 25 000 $, permettant ainsi aux entreprises d’éviter de se tourner vers l’argent comptant et les chèques, et de privilégier cette solution. Ce n’est plus qu’une question de temps avant que ce type de services soit transformé en produits à part entière, adaptés à une grande diversité de besoins. Donc, pour répondre à cette question, je pense que, dans les cinq prochaines années, nous assisterons à une évolution majeure des services de paiement interentreprises et entreprise-consommateur, en raison de l’arrivée de ces nouveaux acteurs sur le marché. Paiements Canada et le gouvernement fédéral constateront qu’il faut agir rapidement pour commencer à mettre ces services à la disposition de ces acteurs et des parties prenantes sur le marché. Ils doivent pouvoir les intégrer dans leurs systèmes. Si ce n’est pas fait, d’autres acteurs pourraient se retrouver contraints de concevoir leurs propres infrastructures autour de ces systèmes existants. Qu’est-ce que cette situation signifie pour la rémunération? Elle sous-entend que la liquidité devient un concept qui ne tient tout simplement pas la route. En adoptant ces structures de paiement en temps réel, il n’est plus nécessaire de planifier ces types d’événements : nous pouvons simplement nous attendre à recevoir, à envoyer et à régler des paiements presque instantanément. Je pense que cette réalité soulève la question suivante : pourquoi la rémunération ne serait-elle pas entièrement versée en temps réel? Je pense que ces grandes entreprises du Fortune 500 commenceront à se questionner sur les périodes pendant lesquelles elles peuvent utiliser des fonds sans frais. Pourquoi ces périodes existent-elles dans un environnement de paiement en temps réel, surtout dans un environnement mature? Les équipes de trésorerie devront commencer à assimiler cet environnement et à l’intégrer dans leurs activités. Ce qui n’est pour l’instant qu’un service d’accès anticipé aux salaires pourrait éventuellement devenir une composante intégrée à la structure de la rémunération d’ici cinq ans.
Damian: Ce changement est très emballant, mais suscite beaucoup de réflexion. Comment pouvons-nous y préparer et prévoir différents scénarios? C’est ce que j’en retiens. Avant de passer à la période de questions, j’aimerais savoir s’il y a un point important que vous souhaitez que les gens retiennent. Quelles conclusions notre auditoire devrait-il tirer et quelle mesure devrait-il prendre à l’issue de cette séance? À vous d’abord, Rebecca.
Rebecca: Laissez-moi prendre un peu de recul et reprendre ce que des collègues ont dit : vous devez à tout prix éviter de vous cantonner à un seul scénario lorsque vous pensez à votre personnel. Le personnel est diversifié, comme une mosaïque. Lorsque nous analysons les différentes données démographiques et générationnelles, nous avons souvent des préjugés inconscients. Nous pensons à la manière dont nous avons été élevés et supposons que tout le monde pense pareil. Des panélistes ont aussi souligné la précarité financière de nombreux ménages canadiens. Les données agrégées le confirment. Nous avons connu un choc inflationniste. Encore une fois, ne vous cantonnez pas à un seul scénario et ne formulez pas d’hypothèses sur ce dont la population veut ou a besoin en ce moment ni sur ce dont elle aura besoin plus tard, car ses besoins évoluent aussi. Dans cet ordre d’idées, le fait d’offrir des options n’est pas seulement un «plus», c’est en réalité une force.
Sean : Pour développer ce point, il est primordial que les organisations analysent et comprennent leur main-d’œuvre. Je pense que les organisations déploient trop souvent des programmes d’avantages sociaux pour un certain segment ou groupe d’âge, sans tenir compte du personnel de première ligne, de la génération Z, ni des nouvelles générations. Comment attirer les talents et les garder en poste? Peut-être qu’elles n’en ont aucune idée. Offrir l’accès au salaire gagné? Offrir autre chose? Il faudra probablement faire plus qu’installer une simple table de billard dans le bureau, n’est-ce pas? Les entreprises ont des tonnes de nouvelles options à portée de main. La première étape demeure de bien connaître sa main-d’œuvre. Qui cherchez-vous à attirer? Qui essayez-vous de comprendre? De nouvelles générations font leur entrée sur le marché du travail. Nous vivons dans un pays d’une grande diversité. Que recherchent les personnes qui arrivent de l’étranger? Il faut avoir une très bonne compréhension de son personnel avant de penser pouvoir mettre en place des mesures qui auront des bienfaits sur son bien-être et sur son expérience. Je pense donc que c’est la première étape. Avant même de penser à l’accès au salaire gagné ou à tout autre type d’innovation, il faut vraiment comprendre qui sont ces nouvelles générations et comment nous pouvons les aider. Ce processus prend du temps. Vous pouvez réaliser des sondages, analyser des données ou prendre d’autres mesures, mais le plus important est de le faire avant de penser à déployer quoi que ce soit pour le bien-être du personnel.
Val : Bien dit. Permettez-moi encore une fois de corroborer ce que mes collègues viennent de dire. Je pense que l’idée est vraiment de distinguer ce qui est important. J’aimerais aussi ajouter que tout n’a pas besoin d’être ultra compliqué. Par exemple, à ADP, nous essayons de prendre le pouls de notre clientèle chaque année. Nous la questionnons sur ce qui lui tient à cœur et le type de fonctions auxquelles elle aimerait avoir accès pour les paiements. Quels types de services aimerait-elle recevoir? Quels éléments bonifieraient l’expérience de sa clientèle? Si je peux continuer sur la lancée de Sean, ce sont des questions que nous devons poser à notre personnel et à notre clientèle à l’interne afin de déterminer les types de services qui aideraient à solidifier notre organisation. À cette fin, pour faire écho aux points soulevés ici, mais aussi pour simplifier le processus, commencez par une séance de consultation ou un sondage afin de comprendre votre public, votre personnel et votre clientèle. Je pense que cette étape mettra en lumière ce qui est essentiel et vous aidera à établir vos objectifs et les prioriser.
Damain : Arrêtons-nous sur cet excellent conseil. J’imagine que plusieurs personnes ont des questions. Nous avons abordé beaucoup de sujets différents et j’espère avoir capté votre intérêt. Sur ce, place aux questions de notre auditoire.
Question : J’ai une question pour Sean. Selon vous, à quel type d’organisation convient en général mieux le service d’accès au salaire gagné?
Sean : Si je pense aux secteurs dans lesquels nous avons vu de belles retombées aux États-Unis avant notre lancement ici en juillet 2024, nous constatons que les enjeux de nos voisins sont assez semblables aux nôtres. Je dirais donc des secteurs comme la santé. Repensez à mon exemple des soins à domicile et à la possibilité de faciliter la vie de votre personnel en lui proposant le service d’accès au salaire gagné. La santé est un secteur important qui est aussi très dynamique au Canada. Je pense que tout secteur ou toute entreprise qui essaie d’attirer de nouveaux ou de jeunes talents, comme le commerce de détail où beaucoup de jeunes et de nouvelles générations occupent ces postes de première ligne, doivent être conscients qu’ils recherchent la gratification immédiate. Donc, je dirais toutes les entreprises qui emploient cette population plus jeune. Ensuite, je dirais qu’elle convient bien aux postes rémunérés à l’heure en règle générale. Dans quelles entreprises y a-t-il beaucoup de personnes rémunérées à l’heure? Ce sont celles qui ont plus de difficulté à joindre les deux bouts. Ce sont elles qui subissent le plus les contrecoups de la conjoncture économique. Je pense ici à l’industrie manufacturière, au commerce de détail et aux restaurants franchisés. Toutefois, l’utilisation dans un restaurant, qui vise à attirer un effectif plus jeune souhaitant un accès immédiat à son salaire, peut différer de l’utilisation dans une usine, où le personnel plus âgé ayant des responsabilités familiales peut chercher avant tout à toucher son salaire pour payer ses factures et mettre du pain sur la table. Les cas d’utilisation peuvent donc varier. Cette réalité se reflète d’ailleurs un peu dans nos observations aux États-Unis pour ce qui est des secteurs et des entreprises à qui ce service convient le mieux. C’est dans ces secteurs semblables, le commerce de détail, les centres d’appel et les postes rémunérés à l’heure que les retombées sont les plus grandes aujourd’hui.
Question : Maintenant que nous avons analysé la situation du point de vue du personnel, parlons des entreprises. Quels points devraient-elles prendre en compte? Que leur recommandez-vous? Alors que les entreprises versaient traditionnellement à ADP leurs fonds deux jours à l’avance pour les paiements par TEF en lots, elles doivent maintenant le faire en temps réel. Avez-vous eu de la difficulté à faire valoir les avantages et à justifier le coût de la mise en place d’une telle solution auprès des entreprises?
Sean : Je pense qu’un grand avantage de l’accès au salaire gagné, que ce soit avec ZayZoon ou d’autres fournisseurs, est que la solution peut être appliquée à plus d’un système de paie, pas seulement aux grandes plateformes bien établies. Beaucoup de petites entreprises utilisent un système de paie maison. Ainsi, un des critères du service d’accès au salaire gagné, du moins pour ZayZoon, est de garantir sa compatibilité avec pratiquement tous les types de systèmes de paie et de gestion du temps et des présences. Nous prenons soin d’analyser les logiciels de gestion du temps et des présences ainsi que les systèmes de paie pour viser la plus grande exactitude possible. Je pense qu’un argument clé pour convaincre les employeurs est de vanter l’intégration du produit, car nous ne sommes en aucun cas une plateforme de paie, mais nous voulons garantir une intégration sans heurt à leurs systèmes au moyen d’une interface de programmation d’application (API), ce qui est plus facile à dire qu’à faire de nos jours, bien sûr. C’est un point sur lequel nous avons vraiment travaillé comme entreprise afin de garantir notre compatibilité avec les différents systèmes de paie utilisés aux États-Unis et au Canada.
Val : J’aimerais ajouter un point. La plupart des fournisseurs de services d’accès au salaire gagné, que ce soit ZayZoon ou d’autres, ne modifient aucunement la structure de financement qu’ont mis en place les entreprises pour la paie régulière. Elles n’ont donc aucune modification à apporter du côté de la gestion des flux de trésorerie, des liquidités ou de la capitalisation anticipée. Toutes ces structures restent exactement les mêmes. Il est extrêmement rare qu’un fournisseur demande la modification de ces structures. D’après mon expérience, la grande majorité des fournisseurs de services d’accès au salaire gagné établis offrent des solutions qui s’intègrent sans perturber vos pratiques existantes.
Question : Rebecca a dit qu’il fallait se préparer à l’entrée de la génération alpha sur le marché du travail et je trouve que cette idée résonne avec l’innovation abordée par Damian. Pensez par exemple à Roblox, qui a sa propre monnaie et son propre système d’échange. J’aimerais donc vous demander, Val, comment vous abordez l’innovation compte tenu de toute l’incertitude qui se profile à l’horizon?
Val : Je pense qu’il faut établir des priorités. Permettez-moi de revenir sur le besoin de distinguer ce qui est important. En théorie, les entreprises peuvent offrir beaucoup de choses à leur clientèle, mais elles font aujourd’hui face à de grands enjeux. Elles doivent déterminer si elles veulent concevoir une solution à l’interne, en acheter une ou s’associer à un partenaire afin de résoudre ces problèmes. Je pense que c’est la première étape. Même dans une grande entreprise comme ADP, il faut réaliser que nous ne pouvons pas résoudre tous les problèmes structurels de l’écosystème des paiements ou même de l’écosystème de l’information. Alors, comment déterminer, en fonction des attentes de notre clientèle, du contexte actuel et de notre propre priorisation des initiatives, ce que nous aimerions concevoir à l’interne, acheter ou obtenir en partenariat pour conjuguer ces trois éléments? Si nous prenons l’univers de la rémunération dans son ensemble, une telle démarche de la part d’ADP lui permettrait de détenir la plus large part du marché nord-américain. En d’autres termes, nous pouvons tirer des résultats tangibles de la mise en place d’une innovation de cette nature, puis nous en servir pour élaborer des solutions supplémentaires. Ainsi, le dernier élément à prendre en compte, après ceux que je viens de mentionner, est de déterminer si l’innovation que nous souhaitons mettre en place sera un projet autonome ou si elle pourra être développée et intégrée à une chaîne de valeur couvrant l’ensemble du cycle de paie, de l’intégration du personnel à la paie jusqu’à la fin du cycle de vie. Compte tenu des différents éléments à prendre en compte, vous constaterez que très peu d’initiatives parviennent à satisfaire à tous ces critères. Dans le bon contexte, vous devriez être en mesure d’utiliser chacun des leviers que j’ai mentionnés, surtout en ce qui concerne la conception, l’achat ou le partenariat. Je pense que nous vivons à une époque où il n’est plus nécessaire de tout concevoir à l’interne. Il n’est pas nécessaire de sortir et de réaliser d’énormes acquisitions ou de s’associer à de grands partenaires établis. Nous sommes à une époque très propice pour introduire ce processus de réflexion et déterminer quelles initiatives méritent d’être retenues.
Question : Lorsque nous parlons de bien-être financier du personnel, nous parlons en réalité du bien-être financier de toute la population canadienne, toutes générations confondues. Nous avons un nouveau gouvernement en place. Quelle initiative politique devrait-il prendre à votre avis pour améliorer le bien-être financier de la population canadienne?
Rebecca: Nous nous sommes beaucoup questionnés là-dessus dans le milieu de l’économie, car, même avant le déclenchement des guerres commerciales de Trump, la croissance canadienne était assez médiocre. Nous nous sommes demandé comment renforcer la croissance canadienne, puis nous avons analysé ce qui se passe dans l’économie. D’abord, nous sommes un pays très axé sur la consommation et les États-Unis le sont encore plus. Nous sommes un peu complaisants, car aux États-Unis, 70 % du PIB provient de la gratification immédiate. Au Canada, c’est plus de 60 %, donc nous consommons simplement des biens, nous n’investissons pas. Je pense que notre nouveau premier ministre essaie d’offrir plus d’occasions afin que la population puisse choisir, lorsqu’elle a un dollar en main, entre le dépenser immédiatement ou l’investir pour l’avenir. Il souhaite créer davantage d’occasions d’investissement. Le constat est assez alarmant quand nous repensons à la sécurité financière des ménages canadiens. Généralement, le plus grand actif que la population canadienne possède à son arrivée à la retraite est sa demeure, mais le marché immobilier actuel est tout simplement inaccessible pour les plus jeunes générations. Donc, je pense que nous devons adopter une approche réaliste et ne pas imaginer que la construction de 500 000 propriétés, ce qui est irréaliste, réglera le problème. Il est important de discuter en toute franchise du constat selon lequel l’accessibilité à la propriété risque de continuer de diminuer. Comment pouvons-nous inciter la génération Z à épargner 5 000 $ par trimestre pour constituer une mise de fonds de 250 000 $? Il faut inciter les jeunes à commencer à épargner modestement, d’abord sans penser à l’immobilier, puis à investir dans l’immobilier plus tard. Je pense qu’avoir une discussion franche sur la manière dont la population canadienne peut atteindre la sécurité financière tout au long de sa vie, sans s’en remettre uniquement à l’achat d’une propriété. C’est un enjeu majeur qui est aussi lié aux comportements de consommation. Nous devons réfléchir davantage à la manière d’inculquer cette mentalité d’investir pour l’avenir et pas seulement à court terme. Je comprends aussi que la nécessité entre aussi en ligne de compte et impose beaucoup de prudence parce que certains segments de la population vivent dans la précarité. Nous le savons, ce sont les locataires et les ménages d’une personne. La différence est que ce ménage atteint l’âge de 65 ans avec une valeur nette d’environ 10 000 $, alors que le ménage à 2 revenus y arrive avec une valeur de 1,5 M$. Il y a donc beaucoup de problèmes à corriger. Je n’ai pas pu en cibler un seul.
Sean : Permettez-moi de partir de cette remarque. Nous avons mené beaucoup de sondages et d’études sur le bien-être financier avant même de penser à entrer sur le marché canadien et j’ai l’impression que de nombreuses personnes manquent de connaissances financières. Je doute que la majorité des gens maîtrise bien la gestion de leur budget. Alors, comment pouvons-nous instaurer une culture qui prône beaucoup plus l’éducation financière dès la jeunesse? Je pense que ce serait l’idéal. Est-ce réaliste? Je ne sais pas. Je pense que le gouvernement de l’Ontario a commencé à réduire considérablement les taux d’intérêt des prêts sur salaire. Aussi, les gens ne peuvent emprunter qu’un certain montant ou jusqu’à un certain seuil. Il faut continuer à aller dans ce sens, car les gens qui y ont recours finissent par tomber dans des spirales d’endettement. Je pense que réglementer ces services abusifs sera vraiment utile pour le personnel en première ligne qui ressent le plus de pression. Je crois que nous devrions nous concentrer sur l’instauration d’une culture qui prône l’éducation financière.
Rebecca: J’aimerais retourner sur quelques-unes des lacunes politiques concernant la sécurité financière que nous observons dans les milieux de travail. J’ai parlé de diversité, mais il y a encore une partie de la génération du baby-boom qui vit de régimes à prestations déterminées, puisqu’elle a occupé le même emploi toute sa carrière. Cependant, les régimes de retraite offerts par les employeurs ne semblent pas évoluer au même rythme que l’expansion de la main-d’œuvre. Dans certains secteurs plus vulnérables, de nombreuses personnes ne bénéficient pas de la même sécurité que celle offerte par les régimes de retraite. Je pense qu’il y a un certain nombre de lacunes dans la sphère politique que nous devrions combler.
Val : La dernière chose que j’aimerais dire à ce sujet est que, comme tout est devenu si cher de nos jours : le logement, l’inflation, les biens de consommation, il reste très peu d’argent à consacrer aux placements. Ainsi, je pense qu’il faut commencer à réfléchir à la manière dont nous envisageons le portefeuille de la population canadienne en dehors de son salaire quotidien et des éléments structurants comme le REER. Je ne sais pas si Rebecca sera d’accord avec moi, mais je pense qu’au Canada, beaucoup de gens qui épargnent, même modestement, ont une somme importante d’argent dans leurs REER, mais ont peu de marge de manœuvre dans l’utilisation de ces fonds, même pour un investissement aussi important que l’achat d’une propriété. Lorsque cet argent est utilisé, il faut ensuite le rembourser sur une période de dix ans pour renflouer les coffres. Même si je pense que cette initiative part de bonnes intentions, elle permet en réalité une utilisation très restreinte du plus grand actif que la population salariée peut avoir. Donc, la possibilité de débloquer ces fonds et les utiliser de manière beaucoup plus productive, de les réinvestir dans l’économie ou d’investir dans l’immobilier donnerait aussi un bon coup de pouce.
Damian: Je me sens comme dans un groupe de réflexion en ce moment. Je vous avais promis une discussion intéressante, n’est-ce pas? Je tiens à vous remercier. Rebecca, Sean, Val, merci pour cette conversation fascinante. Je suis certaine qu’elle aura des retombées réelles. Nous devons y réfléchir, que nous soyons des spécialistes de la trésorerie, acteurs dans l’industrie ou propriétaires d’une entreprise. Nous devons réfléchir aux retombées réelles, aux sentiments et aux réflexions de la population, aux éléments dans lesquels nous devons investir, aux renseignements que nous devons fournir et aux mesures que nous devons prendre l’initiative de concrétiser dès maintenant. Nous devons réfléchir à l’évolution de la situation à court et à long terme. Je tiens à vous remercier pour votre présence.